Dans une longue chronique publiée le 24 février 2021, et fort discutée sur le réseau LinkedIn, après la publication de l’intervention de l’auteur dans un entretien accordé le 9 mars au site management de la formation, Monsieur André Perret affirme haut et fort : Je suis en guerre contre la dictature de Qualiopi !
Avant d’aborder le fond du sujet, je tiens à préciser, pour celles et ceux qui découvriraient ce blog et les activités de la société CFS+ dont je suis fondateur et président, qu’en effet, Qualiopi c’est en partie mon « business », ce qui, selon l’auteur en guerre contre Qualiopi, ferait qu’il serait alors pour moi « compliqué de rester objectif ». J’ignore ce que le terme de « business » peut recouvrir comme sous-entendus et présupposés, certainement que je serais un vulgaire « businessman », vil homme d’affaires, plutôt qu’un authentique professionnel de la formation. Je me permets toutefois de préciser que j’approche des 100 accompagnements à la certification Qualiopi, que tous mes clients ayant passé leur audit initial ont bien été certifiés, et que je publie mes indicateurs de résultats régulièrement mis à jour sur notre site web, dans la page consacrée à cet accompagnement. Cela devrait me donner une certaine légitimité pour apporter la contradiction à cette vision dictatoriale qui nous est ainsi présentée, avec tout le respect que j’ai pour l’auteur, même si je ne partage pas son point de vue.

Pour avoir bien connu une dictature européenne dans les années 1970, je crois savoir que pour gouverner un tel régime, il faut d’abord un dictateur et que seul un texte, même ministériel, ne suffit pas. Qui serait alors notre dictateur en chef ? Stéphane Rémy, peut-être ? Sous-directeur des politiques de formation et du contrôle à la Délégation Générale à l’Emploi et à la Formation Professionnelle (DGEFP) . Un bien curieux « dictateur » , qui aurait rédigé seul, en bon « haut fonctionnaire », visiblement tout aussi méprisable que le « businessman » que je suis, le texte du référentiel national qualité paru avec le décret 2019-565, le 6 juin 2019. Cet affreux Père Ubu nous explique pourtant, avec Jacques Abécassis, l’un des participants au groupe de travail ayant préparé ce texte, que c’est de l’écosystème de la formation professionnelle qu’il est issu, et pas de la seule administration du ministère du travail. Voir le webinaire en date du 9 juillet 2020, de notre chaîne qualite-et-formation-professionnelle.fr, que l’on peut également retrouver sur ce blog, en version intégrale, avec sa transcription :
Le fait que ce référentiel soit issu des professionnels de la formation, se ressent tout particulièrement dans sa mise en pratique. J’ai quelques doutes sur le fait qu’une administration puisse émettre seule un tel outil, aussi adaptable, si peu orienté vers la norme et la réglementation. Lorsque quelques certificateurs ont émis l’idée que ce référentiel était trop peu réglementaire, et se sont avisés de vouloir ajouter des indicateurs de vérification de conformité en ce sens, la réponse du dictateur, le ministère du travail, a été très claire : « L’organisme certificateur est chargé de réaliser l’audit nécessaire à la certification, et n’est pas chargé de procéder au contrôle des obligations réglementaires ». Ainsi qu’il m’a été dit par une personne autorisée, « aucun d’entre eux n’a reçu de délégation de service public d’effectuer le travail des agents de la Direccte. » Voir mon article du 8 mars 2020, Processus, procédures, normes et contrôles réglementaires. et la lettre du ministère du travail à CFS+, en date du 14 février 2020 :

Venons-en maintenant au référentiel lui-même, cet horrible objet dictatorial. Nous avons donc éliminé le contrôle réglementaire. Ce n’en est pas un, même si cela semble procurer quelques regrets à quelques anciens certificateurs du temps du non regretté CNEFOP et de ses deux listes de labels et certifications, généraliste et spécialisée, soit au total 54 référentiels, très inégaux, mais tous tournés vers la réglementation avant toute chose, comme le process Datadock mis en place par un GIE de prestataires de financement, OPCA et région Normandie. Cela était dans l’esprit du décret 2015-790 du 30 juin 2015, base initiale indispensable à connaître pour comprendre le passage de Datadock à Qualiopi :

Prenons ce schéma : en 2015, pour communiquer, critère 5, il fallait déjà avoir réalisé des actions de formation, et justifier de ses objectifs (critère 1), de l’accueil et de leur suivi (critère 2), de l’adéquation des ressources avec les objectifs visés (critère 3), de la qualification professionnelle des ressources humaines, et de leur formation continue (critère 4). En 2019, cette communication devient la première brique du référentiel unique, qui remplace les 54 optionnels et devient, ô scandale !, ô dictature !, obligatoire pour pouvoir accéder au marché financé. Sur ce point, l’auteur en guerre contra Qualiopi se trompe lourdement lorsqu’il affirme que le marché « libre », non financé, pourrait se passer de certification qualité. « Pourquoi une certification ISO lorsque vous avez déjà une CNEFOP » ai-je demandé à un nouveau client réalisant près de 2 millions d’euro de chiffre d’affaires ? « Parce que je travaille avec trois groupes internationaux, et que sans ISO 9001 aucun contrat ne peut être signé avec eux. » CQFD.
Avant de réaliser une quelconque action de développement des compétences, avec Qualiopi, il devient prioritaire d’informer sur celle-ci. Notons au passage le changement de paradigme, de l’action de formation à l’action de développement des compétences. « Vers une nouvelle société de compétences » est le titre Ier de la loi du 5 septembre 2018 . C’est un mouvement essentiel, de la simple communication sur l’action vers une information préalable et détaillée sur ses prérequis, ses objectifs, sa durée, son tarif, ses modalités et délais d’accès (source de décision très souvent essentielle pour choisir, entre deux prestataires ayant des offres équivalentes, celle qui proposera une date convenant le mieux à la personne -physique ou morale- en recherche d’une formation), ses méthodes et modalités d’évaluation, et aussi, c’est nouveau et c’est majeur, l’accessibilité aux personnes en situation de handicap (PSH). Cette question du handicap, véritable fil rouge du référentiel, démontre que c’est bien l’apprenant, le bénéficiaire, qui est au cœur des préoccupations des financeurs.
Ainsi, dès ce critère 1 les objectifs du référentiel national sont clairs. Oui, en effet, pour que le prestataire d’action de développement des compétences puisse permettre à ses clients de demander une prise en charge financière de ses actions, il devra, à partir du 1er janvier 2022 (1er juillet 2023 ?), justifier d’avoir obtenu ce sésame dictatorial. La belle affaire ! (c’est le cas de le dire😉). Pour accéder aux quelques 15 milliards d’euros annuels des financements publics et mutualisés, il devra avoir démontré qu’il mettra tout en œuvre pour que le bénéficiaire financé (en gras dans le guide de lecture de la DGEFP) repartira de chez lui avec un bénéfice, celui des connaissances et compétences recherchées. Personne ne dit quelle sera la sanction quand cela n’aura pas marché, car tout le monde sait bien que cela ne peut pas fonctionner idéalement à tous les coups. Ce que le méchant dictateur demande, avant d’ôter la main de fer qu’il maintient sur la caisse, c’est seulement de montrer que quand quelque chose n’aura pas fonctionné, qu’il y aura eu des « aléas, des difficultés, des réclamations » (critère 7, indicateur 31), les causes seront bien analysées et traitées avec les enseignements à en tirer pour l’amélioration continue de la prestation (critère 7, indicateur 32). Et, ô surprise, les données recueillies à l’indicateur 32, à l’occasion de cette analyse des avis des parties prenantes (critère 7, indicateur 30) viendront alimenter la mise à jour des résultats obtenus, action par action, à communiquer au futur acheteur (critère 1, indicateur 2).
Les règles imposées par le dictateur sur les résultats obtenus ? Aucune. Chacun peut créer ses propres indicateurs de résultats. Avec un organisme lyonnais, intervenant dans le champ des collectivités, territoires et grandes entreprises, sur l’accueil des enfants en situation de handicap, nous avons choisi de communiquer sur le taux de renouvellement des contrats, formation par formation. Savoir que le contrat avec la Ville de Paris a été renouvelé chaque année depuis six ans, est plus pertinent que de connaître le taux de satisfaction des stagiaires : ils ne seront jamais les acheteurs directs, et si une municipalité ou une entreprise renouvelle ainsi ses contrats, c’est bien que les résultats attendus ont été obtenus.

Dans le dispositif PDCA ci-dessus, on commence à entrevoir que le référentiel national qualité doit être vu, analysé, vécu, et appliqué comme un système, à l’intérieur duquel les indicateurs communiquent les uns avec les autres, se répondent, se renvoient des données. Prenons l’exemple de la question des abandons (critère 3, indicateur 12) : « Le prestataire décrit et met en œuvre les mesures pour favoriser l’engagement des bénéficiaires et prévenir les ruptures de parcours. » Comment ne pas le lire sans penser à l’indispensable étude des besoins du bénéficiaire (en gras dans le guide de lecture de la DGEFP) recensée au critère 2, indicateur 4 : » Le prestataire analyse le besoin du bénéficiaire en lien avec l’entreprise et/ou le financeur concerné(s). » C’est certain, présenterait de forts risques d’abandons un bénéficiaire qui n’aurait pas besoin de la formation, qui aurait été prévenu la veille pour le lendemain par sa hiérarchie, sans savoir ce qu’il vient faire dans cette dictature, qui présenterait des difficultés dues à un handicap quelconque, même léger, ou qui ne correspondrait pas aux prérequis de la prestation. L’indicateur 4 est donc la première brique de l’indicateur 12. Combien de fois ai-je entendu, dans mes accompagnements, des témoignages allant dans ce sens ? Ces deux indicateurs apportent de la puissance au prestataire de formation par rapport au donneur d’ordre : il a le souci de la réussite du bénéficiaire qu’il va recevoir. Le donneur d’ordre doit comprendre que la formation est un investissement, c’en est un, je partage l’avis d’André Perret sur ce point, et qu’à ce titre il doit être géré comme tel, avec un autre regard qu’une simple obligation qu’il y aurait à devoir former ses salariés sans très bien savoir ni pourquoi, ni comment, ni par qui.

Enfin, toute action de développement des compétences doit être vu comme une gestion de projet, avec un avant, un pendant et un après.
Processus à mettre en place avant l’action de développement des compétences : informer (C1), concevoir (C2) ; Pendant l’action : adapter (C3), utiliser des ressources adéquates (C4) et des RH à jour des connaissances et compétences requises pour délivrer l’action (C5) ; Après l’action : analyser les avis des parties prenantes, les aléas, les difficultés les réclamations (C7) ; Tout au long de la vie de l’entreprise de formation :être ancré dans son environnement professionnel et disposer d’un système de veille (C6).
Vous avez dit dictature ? C’est la roue de Deming qui nous écraserait ainsi ? Je vois Qualiopi plutôt comme un système de management de la qualité, qui évite qu’elle ne devienne le rocher de Sisyphe. Il est imparfait ? Certainement. Par exemple, il ne nous dit rien sur la formation à distance, alors que c’est devenu une modalité pédagogique majeure. Nous travaillons cette question au sein d’un groupe de travail du Forum des Acteurs de la Formation Digitale, sous la conduite d’Aurélia Bollé.
Ainsi peut se poursuivre ce débat. Avons-nous affaire à un référentiel de réglementation, de normes, de procédures, de contrôle pédagogique, de contrôle du service fait, ou de processus, comme cela est inscrit dans le logo Qualiopi ?
Quelle que soit la réponse, nous sommes entrés dans l’ère de l’entreprise de formation, ce qui va bien au-delà de la simple école, ou du seul organisme de formation. Nous en parlerons ce jeudi 25 mars avec Alexa Rousseau et Jacques Rouzé, lors de notre webinaire « Comment transformer son organisme de formation en entreprise de formations« .
Merci pour votre lecture, et que le débat se poursuive, dans la joie, la bonne humeur, et le respect des convictions de chacun.
Nota Bene : cet article a été modifié le 14 mars 2021 pour cette version, plus courte. Pour obtenir le texte initial, nous contacter. Merci.
3 réflexions sur “À propos d’une dictature.”
Bravo, pour votre réponse. Je vous rejoins sur le fait que qualiopi est une réelle opportunité et une avancée, maintenant j’ai une question : existe t’il un tarif pour la certification different entre un indépendant qui s’attelle au sujet dans sa première annee d’activité et une société de formation qui a un peu plus de ´bouteille’ et de chiffre d’affaires. Pour moi, c’est un point où je sens que l’approche manque de sens, d’équité et que je n’ai pas le choix… bien à vous
Merci pour votre commentaire. La réponse à votre question se trouve dans l’arrêté ministériel publié le 8 juin 2019 sous le numéro 17.
https://tiny.cc/arrete17rncq
Le tableau de l’article 10 permet de calculer la durée d’audit, selon le niveau de chiffre d’affaires déclaré au dernier BPF, la ou les catégories d’actions de développement des compétences à certifier (formation, bilan de compétence, accompagnement à une VAE, apprentissage), et l’existence de sites secondaires.
Plus le CA est élevé, plus il y a de sites à auditer, plus il y a de catégories à certifier, plus la durée est longue. J’ai fait une fois une devis pour accompagner un organisme à la préparation d’un audit de 9 jours !
Autrement dit le système de calcul est très favorable aux nouveaux entrants et aux organismes avec un CA inférieur à 150 K€.
Une formalisation utile de la formation aurait dû viser à une simplification des processus administratifs dans l’accueil et le suivi des stagiaires… Bien au contraire, avec Qualiopi la lourdeur administrative ne peut que prendre le pas sur la pédagogie… Parole de formatrice qui a vu les documents de contractualisation et d’évaluation à remplir pratiquement doubler… Vive les annexes pédagogiques, bilans de formation, livrets de l’apprenant, fiches de sélection, compte rendu quotidien, questionnaires de satisfaction : des papiers, des papiers, des papiers en plus des contrat, règlement intérieur et charte Covid. Un bon modèle au développement durable ?