Pourquoi la loi du 5 septembre 2018 profite-t-elle aux petits opérateurs ?

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« La réforme va-t-elle tuer les formateurs indépendants et petits organismes de formation ? » est le titre d’un article qui développe bien entendu l’idée que oui, bien sûr, ils vont tous mourir car ils n’auront pas les moyens de se payer la certification RNQ RNCQ, trop onéreuse, trop chronophage, trop favorable aux grands opérateurs qui peuvent tout se payer eux, les méchants.

Cette réponse, aussi courte que les idées qu’elle exprime et les arguments qu’elle avance est malheureusement faite sans aucune preuve de quoi que ce soit, sinon l’annonce de tarifs hypothétiques, et une absence totale de vision quant aux recettes accessibles avec cet investissement, présenté comme une vulgaire, et mauvaise, dépense.

Je vais essayer d’apporter une nouvelle fois un point de vue différent, en m’efforçant d’étayer mon argumentation par des faits et non par des hypothèses alarmistes, forcément alarmistes, aurait ajouté Marguerite Duras.

Premier fait, incontestable. La certification nationale unique RNQ RNCQ (voir le replay du webinaire CFS+ du 17 octobre 2019 avec Jacques Abécassis) deviendra obligatoire à compter du 1er janvier 2021 si, et seulement si, le prestataire souhaite faire appel au financement public ou mutualisé de ses actions de développement des compétences. La demande d’une telle garantie du respect d’un certain nombre de règles et de processus par tous sans exception, du plus petit au plus gros, du plus ancien au plus récent, est-elle illégitime ? Assurément non, surtout en regard des ouvertures de marché qui sont offertes en compensation, comme il sera démontré ci-après.

Oui, cela va coûter un peu d’argent aux petits, et aux nouveaux arrivants, c’est vrai. Mais, contrairement à ce qui est affirmé dans l’article que je mentionne, cela risque d’en coûter vraiment beaucoup aux grosses structures, en raison des durées d’audit qu’elles auront à effectuer, selon leur chiffre d’affaires et le nombre de sites qu’elles gèrent, et en raison des exigences organisationnelles nouvelles qui vont s’imposer. Ne croyez pas que la partie sera si facile pour elles ! L’essentiel est ailleurs : avec cette certification nationale, petits, moyens, grands, tous auront accès au marché financé, dans une situation de concurrence libre, et non faussée.

Attardons-nous quelques instants sur cette expression « concurrence libre et non faussée« . Rappelons qu’elle figure à l’origine dans le traité de Rome de 1957 et qu’elle est due à la lutte contre la politique des cartels que l’Europe nouvelle en construction ne souhaite plus revoir car elle a conduit à la guerre.

« Concurrence libre » signifie qu’il n’y a pas de conditions d’accès qui viennent réserver une activité nouvelle à certaines entreprises. J’ai ainsi connu l’ouverture à la concurrence du monopole des renseignements téléphoniques en France dans les années 2000. Il a été fixé une condition d’accès à ce nouveau marché des données d’adressage : il fallait être opérateur de télécommunications. Des sociétés de gestion de base de données ont donc dû se transformer en opérateurs télécoms qu’elle n’étaient pas. Pour quelles raisons ? Aucune, sinon, hélas, une politique de cartels dont le retour est plutôt préoccupant. Il s’agissait bel et bien de verrouiller l’accès à un marché émergent au profit de quelques uns. Est-ce le cas ici avec cette réforme de la formation professionnelle ? Assurément non.

Vous avez accès libre au terrain de jeu. Vous devez seulement déclarer à l’arbitre de champ, la DIRECCTE, que vous souhaitez être sur la feuille de match. L’arbitre vérifie alors la validité de votre équipement (identité, capacité à facturer, capacité à former, organisation d’une formation, programme de cette formation, désignation de vos spécialités de formation) et vous autorise à jouer si tout est conforme : vous pouvez alors former et facturer sans difficulté, que vous soyez auto-entrepreneur ou multinationale. Ce qui vous sera ensuite demandé avec la certification nationale unique, pour accéder au marché financé, ce sera seulement de démontrer que vous vous êtes donné les moyens organisationnels de pouvoir assurer une formation de qualité, inscrite dans un processus d’amélioration continue. Il ne s’agit en aucun cas de la création d’une astuce réglementaire en vue de la réservation d’un marché à quelques -uns : avec un capital social minimum par exemple.

Vous travaillez uniquement en sous-traitance, pour des « gros » ? L’obligation de produire un certificat RNQ RNCQ à jour s’applique uniquement à celui qui reçoit les financements, et en sous-traitance ce ne sera jamais vous : vous pouvez par conséquent vous dispenser de cette dépense de la certification nationale. Car ici ce serait bien une dépense, fort inutile. D’un autre côté, rassurez-vous les « petits » : sans vous, les « gros » ne sont rien d’autre que des monstres aux pieds d’argile !

Examinons la « concurrence faussée » à présent. Toujours sur le marché de l’ouverture à la concurrence des renseignements téléphoniques, que croyez-vous que firent les opérateurs du cartel constitué de l’opérateur téléphonique national, de son ex-filiale autrefois responsable des annuaires, et des deux plus gros opérateurs de renseignements européens ayant déjà accompagné ce mouvement dans d’autres pays de l’Union ? Ils demandèrent expressément à l’État d’empêcher l’arrivée d’opérateurs entrants, ce qui fut fait par la modification des règles tarifaires des numéros à cinq chiffres. « Nous avons déjà dû affronter des petits opérateurs en Angleterre, en Allemagne et en Italie, nous ne voulons pas les voir en France » ai-je entendu dans une réunion de travail à l’Autorité de Régulation des Télécommunications dans la bouche d’un représentant de l’un des membres du cartel sus-cité. La demande, clairement exprimée, visait bien la mise en place d’une concurrence faussée, demande émise par de vrais libéraux libertariens qui clament du matin au soir que l’État est insupportable, qu’il faut le réduire à quelques activités régaliennes… sauf quand on a besoin de lui pour arranger nos petites affaires.

Sérieusement, sommes-nous dans ce cas de figure après la mise en application du titre I de la loi du 5 septembre 2018 « Vers une société de compétences » ? Là encore, assurément non ! Il n’y a pas de conditions d’accès au marché. Il vous faut seulement avoir signalé votre présence sur le terrain à l’arbitre pour qu’il vous attribue un numéro de dossard : le Numéro de Déclaration d’Activité. Aucune exigence de capital minimum, de locaux somptueux, de matériels sophistiqués et ruineux. Rien. Sans capitaux ou avec un capital social de plusieurs millions d’euros, vous pouvez jouer. Pas dans la même cour, peut-être, mais vous aurez de multiples occasions de vous rencontrer, de vous entendre, en sous-traitance par exemple, et de vous respecter. C’est loin d’être le cas sur un marché non libre et avec une concurrence faussée, je sais de quoi je parle.

Examinons à présent les incroyables opportunités que cette partie I de la loi du 5 septembre 2018 offre au contraire aux opérateurs de toutes tailles, et donc aux « petits ».

Avez-vous remarqué ? Vous êtes devenus des « OPAC, » Opérateurs Prestataires d’Actions de Compétences (« concourant au développement des compétences »). Pour vous berner ? Pour vous faire disparaître comme organismes de formation et laisser la place à des mastodontes ? Non ! On a au contraire créé de nouvelles opportunités pour vous, avec la modification des règles d’exercices de trois activités : les bilans de compétences, l’accompagnement de la VAE et l’apprentissage (Article L6313-1 du Code du Travail). Elles étaient jusqu’alors des sortes de terrains de chasse réservés, dans un système sans concurrence, ni libre, ni faussée, inexistante. A-t-on attribué ces trois activités à quelques-uns triés sur le volet par des conditions d’accès impossibles à atteindre sans capitaux énormes ? Non ! Elles sont ouvertes à tous, sans exception. La seule exigence reste la même : s’être fait connaître de l’arbitre de champ, la DIRECCTE, pour qu’elle vous attribue un numéro de déclaration d’activité, numéro de dossard que vous devez afficher sur votre maillot -votre site web- avec la mention« ce numéro ne vaut pas agrément de l’État« .

Ainsi donc, au lieu de chercher à vous tuer, on vous a soudainement permis de multiplier par quatre votre champ d’intervention ! Là où vous ne pouviez que délivrer des formations, vous pouvez dorénavant, avec votre seul NDA, réaliser des bilans de compétences, accompagner à la VAE, former par l’apprentissage.

Et vous pensez que l’on veut vous tuer en vous offrant de telles opportunités ? Sornettes !

La contrepartie de cette ouverture, de cet apport d’opportunités, c’est qu’il vous est demandé de démontrer que vous avez bien les qualifications professionnelles requises pour exercer dans une, deux, ou trois de ces actions de compétences inscrites à l’article L6313-1 du Code du Travail. La belle affaire ! Oui, cela va vous prendre un peu de temps, et vous coûter un peu d’argent. Mais ce sera un excellent investissement, et non une mauvaise dépense, comme dans le cas de l’exercice de ses activités en seule sous-traitance. En face de cet investissement, il vous faut ajouter sur la balance le montant des recettes auxquelles il vous donnera accès. Oui bien sûr, en bon.ne gestionnaire, vous devez regarder combien ça coûte. Faites votre marché, mais plutôt que de geindre, faites également des estimations de combien cela pourra vous rapporter. On vous parle sans cesse du premier terme de l’équation, mais jamais du second. Vous ne trouvez pas ça un peu bizarre ? Moi oui, et vous l’aurez compris, ça m’agace !

Enfin, last but not least, lorsque l’on veut « tuer les petits », on n’instaure pas des conditions particulières pour les nouveaux entrants, comme c’est le cas avec cette certification nationale unique pour l’accès aux financements des actions de développement des compétences. Vous ne voyez pas de quoi je parle ? Lisez attentivement la version 3 du Guide de lecture du Référentiel National Qualité et vous trouverez : https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/guide_referentiel_qualite_v3-22-07-19.pdf

Je vous remercie pour votre lecture.

2 réflexions sur “Pourquoi la loi du 5 septembre 2018 profite-t-elle aux petits opérateurs ?”

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